| " Il était une fois, notre Monde. Et quel Monde ! Une perpétuelle reconstruction, un labyrinthe de sentiments, haine et amour, tristesse et tendresse ralliés au même étendard : l'Histoire. " |
Chine regarda ceux qu'ils considéraient comme ses frères et soeurs courir dans le jardin de la vaste demeure, leurs rires ricochant autour de lui, éclats de voix, éclats de vie, éclats d'un moment de présent déjà devenu passé. Le passé il le connaissait bien, étant la nation la plus ancienne qui soit, plus ancienne encore que l'illustre Empire Romain dont les Occidentaux se sentaient si fiers. Aux yeux de Yao, Rome n'avait été qu'un adolescent impétueux, bien trop pressé à vouloir jouer dans la cour des grands, voulant tout, tout de suite. Lors de leurs brèves rencontres Yao avait tâché de mettre le conquérant en garde : être une nation ne signifie pas être une divinité, l'immortalité ne leur était pas accordé. Rome ne l'avait pas écouté, continuant à brûler et détruire ce qui avait l'impudence de se dresser devant lui. Jusqu'au jour où son ennemi le plus proche lui accorde la dernière leçon qu'il avait à apprendre, la dernière à entendre : une nation partage la mortalité de son peuple.
" Grand-frère Chine ! Grand-frère ! "Les vêtements poussiéreux, le regard brillant, Corée du Sud et Taïwan grimpèrent le long des jambes de leur aîné. Ce dernier écarta le service à thé – mieux valait éviter que Corée s'ébouillante encore avec le breuvage. Levant les bras, les deux enfants supplièrent d'une voix unanime.
" Raconte-nous une histoire ! "Yao eut un bref soupir derrière un sourire amusé. Ah, ils aimaient entendre ces histoires qui composaient leur Histoire à tous, celui des nations et de leurs peuples. Dans son dos Chine entendit les pas mesurés et presque invisibles de son frère préféré : il savait que Kiku écouterait le récit en cachette, loin de sa fratrie turbulente – Taïwan avait tendance à lui mettre des fleurs de cerisier dans les cheveux. Hong Kong délaissa ses jouets pour rejoindre la petite communauté qui entourait la Chine.
" Très bien, aru. Quelle histoire voulez-vous entendre ? "
" Celle des géants du Nord qui pillent et brûlent tout sur leur passage ! "
" Mais çà fait peur ces histoires... Moi je veux celle de la femme qui traverse les plaines à cheval. "
" Moi celle de l'homme masqué ! "Chacun voulait sa part d'Histoire, une Histoire emplie d'exotisme mettant en scène des nations qu'il ne connaitrait peut-être jamais. Chine l'espérait, tant les Occidentaux l'effrayaient avec leur soif inassouvie de conquête et de guerres. C'est pour cela qui leur racontait ces histoires – n'hésitant pas des fois à accroitre la part de violence pour les mettre en garde. Tapotant chacune des petites têtes brunes, il répondit à chacune de leurs sollicitations. La nuit était encore loin à venir.
[...]
Chine fixa sa tasse à thé, se refusant à regarder le vide qui l'entourait. Se refusant à entendre le silence qui ployait ses épaules comme un arbre se plie sous la lourdeur de ses fruits. Le bruissement d'une aile lui fit lever les yeux. Mais personne ne courut après l'oiseau pour l'attraper, ou simplement esquisser son envol sur le papier. Personne ne viendrait lui décrire le plumage étincelant sous le soleil, ni maculer le sol de poussière et de boue.
Il était seul.
Une larme tomba dans le thé, se diluant dans le breuvage, goutte d'eau qui amena l'océan dans le coeur de la nation.
" Vous mes les avez pris. Tous, aru. Vous me les avez arrachés. "L'Histoire n'était pas que passé, mais aussi présent. Chine se retrouvait emportée dans son cours, et loin de chercher à regagner la rive il se laissa porter. Il verrait bien ce que le futur lui amènerait.
[...]
Il était dorénavant avec des Occidentaux, ceux qu'il peignait comme des monstres ou des bandits dans ses récits. Les temps changeaient, l'Histoire avec. Il avait accepté cette alliance seulement parce qu'il avait senti qu'il ne pourrait pas continuer longtemps à vivre en ermite. Et il devait avouer que les Occidentaux le décevaient. Où étaient-ils les colonisateurs qui déclaraient une terre comme leur propriété seulement parce qu'ils avaient posés les pieds dessus ? Angleterre ne portait plus cette atmosphère pesante de manipulateur dont Chine avait connu les effets – l'opium l'avait détruit mieux que n'importe quelle guerre. Cela permettait donc une fine revanche, et cela sans mettre en danger l'alliance avec les autres Alliés.
Néanmoins l'Histoire en décida autrement, et les Alliés ordonnèrent à Chine ce qu'il aurait voulu à tout prix éviter. Combattre le Japon, ce frère qui l'avait quitté en lui laissant une langue de feu sur le dos. Pourtant, il l'aimait encore ce frère. Face à ce jeune homme devenu adulte, Chine aurait voulu trouver les mots pour l'arracher à ces Occidentaux qui l'avaient enlevé. Mais à les observer avec les autres Alliés, il dut admettre qu'aucune parole n'aurait pu ramener le Japon à lui. Ce qui formait l'Axe, reliait ses trois nations disparates, ne pouvait être brisé que par la violence et les coups.
" Ce sera donc la guerre, aru. "La guerre n'amena que larmes et regrets. Chine ne put que regarder cette explosion qui dévasta son frère, qui ébranla le monde qui avait déjà connu les pires atrocités qui lui avaient été donnés de voir. Le monde courait-il à sa perte ? Lui, Chine, nation la plus ancienne qui soit était-elle destinée à voir le monde s'effondrer après l'avoir vu naître ?
Pourtant il est toujours là, dans sa demeure enfouie parmi les bambous comme dans les premiers temps de son existence. Il regarde son peuple s'accroitre, s'accrocher à la vie. Il se regarde devenir puissant, plus puissant que les Occidentaux. Mais il le sait, un jour les peuples disparaitront, les nations avec eux. Il serait le dernier à partir, et le seul à pouvoir raconter à ceux qui restent l'Histoire du monde.