Et voilà que nait dans ses yeux un torrent de larmes, soudainement. Vous qui l’observiez de loin, sans oser l’aborder. Vous qui pensiez que jamais, au grand jamais, la moindre émotion ne pourrait apparaître sur son visage. Vous en étiez persuadé, vous avez cru pendant tout ce temps qu’il n’y avait rien en elle qu’un vide, profond, immense, comme un gouffre qui la prenait toute entière. Vous en étiez sûrs, soit elle était malade, soit elle était déjà morte. Mais elle pleure ainsi, doucement, en silence, ou au contraire en hurlant comme une enfant, vous n’arrivez pas à le savoir car ça change constamment. Que vous ayez pitié d’elle ou pas, vous vous demandez d’où vient cette si grande tristesse, arrivée si subitement que personne ne peut l’imaginer ou même la comprendre. A présent vous vous dites qu’en fait, cette jeune demoiselle à peine sortir de l’enfance, doit cacher sa mélancolie et son mal être derrière un masque de glace. Vous en êtes loin.

Tellement loin, vous n’avez pas idée.

Amy n’est pas triste, car elle a oublié ce que c’est. Tout le reste avec, en elle il n’y a plus rien. Des larmes, ça ne signifie rien, ça n’avait jamais rien signifié d’ailleurs. Un sourire ou un pleur, ça ne veut rien dire à ses yeux. Ce n’est qu’une action comme les autres,tout simplement. Elle est seule, dans son monde imaginaire d’un noir total, aveuglant. Dans la pénombre sont présents les ténèbres, uniquement, tout le reste à disparu. Les émotions ont sombré, coulé avec ses souvenirs, sa vie d’avant. Elle a tout perdu, tout. Son identité, ses sentiments. Ce n’est plus qu’une coquille vide.

Là, elle pleure, allez lui parler, ça ne changera pas. Frappez-la, ça ne changera pas. Ignorez-la, ça ne changera pas. Essayez de la comprendre, et ça n’y changera rien. Vous vous croyez plus intelligent qu’elle, vous êtes persuadés de savoir quoi faire et quoi dire pour la faire redevenir normale. Vous êtes naïfs, comme elle avant. Vous avez encore cette chance de croire en quelque chose, de savoir qui vous aimez ou pas. Vous avez encore cette possibilité qu’elle n’a plus de souffrir. La souffrance est peut être ce qu’elle regrette le plus, ne plus souffrir c’est ne plus être humain. Tout le monde doit éprouver ça, elle non.

Tout cela semble si vague, inexplicable et illogique. Traitez-la d’idiote si vous le pensez, c’est peut être le cas, dites lui ce que vous voulez elle ne réagira pas. Elle peut vous parler cependant, une seconde ou quelques heures, le regard vague, ne regardant nulle part. Surtout pas vous, rien ne prouve qu’elle sait que vous lui parlez. Dans un sursaut, elle vous fixera droit dans les yeux, sans bouger, sans éprouver de gêne. Ou elle s’en ira au milieu d’une phrase, elle ne retiendra probablement jamais votre prénom et sera, tout au long de sa vie, incapable d’éprouver quelque chose pour vous.

Elle ne vous aimera pas, ne vous détestera pas non plus, quoi que vous lui fassiez. Elle ne cherchera jamais à vous recontacter, à partager des choses avec vous. Mais, que voulez-vous dire à quelqu’un de pareil, si nous pouvons considérer qu’elle est une existence à part entière ? Elle n’a pas de goût pour les choses, elle n’arrive pas à faire des choix dans la vie et est considérée comme malade mentale par la majorité des gens. Sachez seulement que c’est faux, elle a toute sa tête. Est-ce qu’elle le pense ? Non, elle n’a d’avis sur rien.

Seule et libre, à jamais, sa vie n’est faite que vide et silence.

Des cheveux longs, roux. Pourquoi dire ça en premier ? Si vous vous êtes retourné sur elle, c’est uniquement pour ça, pour pouvoir continuer à les regarder galoper dans son dos, portés par le vent. La seule chose vivante qui émane d’elle, leur couleur et leur longueur vous hypnoses et jusqu’à ce que sa silhouette disparaisse au loin, vous continuez à les observer. Ils lui arrivent au bas du dos, peut être avant ou à l’inverse tombent-ils encore plus bas sur ses fesses. Qu’est-ce qu’on en sait, hein ? Garçon ou fille, vous constatez bien que cette chevelure ne fait pas très humaine, trop rouge. De quelle race est cette jeune fille ? Ce ne peut être une simple humaine, elle n’a pas l’air effrayée du tout.

Une teinture, voilà tout. Amy a toujours été rousse, mais à force de gaver ses cheveux de teintures pourries, ils ont finis par s’abîmer, tourner vers le rouge. Ici, tout semble juste plus beau et plus facile. Bien sûr qu’Amy n’est qu’une vulgaire humaine, faible, ne sachant que fuir et regarder de loin - sans vraiment le faire en réalité – les combats menés par des races tellement plus puissantes. Si seulement vous vous attardiez sur son visage, sa démarche, vous comprendriez mieux. Vous réaliseriez tout de suite que cette jeune n’est rien, absolument rien. Dans ce monde elle ne devrait même pas exister.

Elle ne traîne pas des pieds, ils se soulèvent normalement, pourtant elle a une démarche tellement lasse, fatiguée, sans la moindre énergie ou volonté. Elle avance très lentement, avec des jambes légèrement arquées, faiblardes, donnant le sentiment qu’elle est prête à s’écrouler à tout moment. Peut être la raison pour laquelle généralement elle est assise, sur un banc, sur une pierre puant le sang séché mal digéré d’un vampire. N’importe où elle s’assoit, même sur un sol terreux s’il n’y a pas d’autre solution. Flemmardise ? Fatigue ? Qu’est-ce qu’elle en sait. Rien, évidement. Elle se pose, c’est tout. Les genoux serrés et le dos très droit, les mains sur les cuisses posées symétriquement. Elle peut rester dans cette position pendant des heures et des heures. Venir le matin et repartir le soir, sans n’avoir rien fait.

Non, son visage ne montre aucune peur. Quand bien même il est neutre, on pourrait croire qu’elle est à l’aise dans ce monde. Crédules comme vous êtes, vous pensez à une pauvre enfant, ou alors à une jolie adolescente qui prend un peu l’air. Dans le fond, elle est jolie. Chevelure de feux, yeux qui changent de couleur – vert, peut être rouge ou orange -, visage rond et ingénu. Elle est fine, parfaitement plate et même si sa démarche n’inspire pas la sympathie, elle se tient droite.

Regardez bien dans ses yeux, vous y croyez et voulez prouver que cette gamine n’est qu’une humaine. Oui, dans ses yeux inexpressifs, vous trouverez sûrement une forme de frayeur. Mais ne vous y trompez pas, ce n’est que la Amy d’avant qui est morte de peur. Malheureusement, elle est partie depuis longtemps.

« Je ne me souviens de rien. »

Mensonge, ce n’est qu’un sale petit mensonge perfide pour s’empêcher à elle-même d’y repenser. Elle ne veut plus jamais avoir à le refaire. Ce serait trop douloureux ? Non, Amy ne connait pas cette émotion, elle ne peut pas la ressentir. Si elle osait, ne serait-ce qu’une seconde, une toute petite seconde, repenser à sa vie d’avant, alors les conséquences seraient terribles. De n’importe quelle manière et le plus rapidement possible, sa vie s’arrêterait. Brutalement, immédiatement, sans réfléchir. Un couteau, un poison, n’importe quoi lui permettant de mourir. Elle ne laisserait pas ce monde en finir pour elle, elle serait plus rapide que lui. Elle le battrait et elle mourrait, parce que depuis le début elle n’avait rien à faire là.

Elle était heureuse avant, tellement heureuse. Il y avait des hauts et il y avait des bas, le plus formidable c’était que les bas étaient à la hauteur des hauts. Tout allait parfaitement, parce qu’Amy elle, elle pleurait sans arrêt. Toujours, pour un oui ou pour un non. Quand elle allait bien et quand elle allait mal, elle savait s’approprier les émotions des autres, pas forcément les comprendre d’ailleurs. Elle vivait à Londres dans un misérable appartement, minuscule mais près de la gare, avec quatre autres personnes. Elle était la joie de vivre incarnée, aussi insupportable que toute jeune adulte qui se respecte, à la recherche de l’homme parfait et d’un bon boulot aussi. Elle était toujours entourée de ses amis, fidèles, quoi qu’il arrive ils étaient toujours là. Pourquoi ne venaient-ils pas la chercher alors ?

Elle était née dans un patelin près de York, dans le nord de l’Angleterre. Le genre « on fait croire à tout le monde que notre vie est parfaite », mais elle ne l’était pas. Ses parents ne s’aimaient pas, ils ne restaient ensemble que pour les enfants, qu’ils disaient. Amy les aimait de tout son cœur, à l’époque c’était tout ce qu’elle avait. Pas de grands-parents, de frères ou de sœurs, elle passait tout son temps avec son père qu’elle chérissait de tout son être. C’était bête, dans le monde des hommes elle en voulait à ses parents de l’avoir élevé de cette façon. Avant d’atterrir dans cet univers imaginaire – impossible de le voir autrement -, elle avait décidé d’aller les voir et s’excuser. Faire comme si les choses allaient s’arranger, parce qu’ils l’avaient toujours aimée. Pourquoi ne venaient-ils pas la chercher alors ?

Des amis, des amours, elle en a eu, comme tout le monde. Elle était jolie et prétentieuse, dans le genre féministe qui se croit plus forte que la télé réalité. Amy, elle regardait le ciel en se disant qu’elle ferait de grandes choses. Elle était sûre d’avoir encore tellement à accomplir chez elle, de gens à aider, de personnes à écouter, d’histoires à écrire. Sa vie ne pouvait pas s’arrêter maintenant, elle avait trop à faire. Elle savait qu’en partant, elle manquerait terriblement à des gens. Elle était sûre d’avoir marqué le cœur de ses proches, que si elle disparaissait, ils mettraient tout en œuvre pour la retrouver. Et que, de toute manière, elle avait tellement d’autres choses à accomplir que le monde entier se bousculerait pour la sauver. Pourquoi personne ne venait la chercher alors ?

Elle n’avait pas sa place ici, elle ne l’avait jamais eu et ne l’aura jamais. Elle devait s’être endormie, elle ne se souvenait de rien. De toute manière, ce monde ne pouvait être qu’un rêve – impossible de l’imaginer autrement, le pire de tous les cauchemars. Bientôt elle reviendrait à elle et tout redeviendrait normal. Cet univers lui avait tout pris, son bonheur, son passé, ses émotions, à cause de cet endroit elle n’était plus rien.

Sans la moindre possibilité d’exprimer ou de ressentir quoi que ce soit, elle savait cependant une chose. Tout finirait par redevenir normal, et ce monde tombera dans le néant avant elle.